L'APPLICATION
A LA RADIOLOGIE DE LA CHAMBRE A FILS DE G.CHARPAK (III)
Le CEDIT a été
saisi par le Directeur Général de l'AP-HP et par le Professeur
Kalifa (chef du service de Radiopédiatrie de l'hôpital Saint-Vincent-de-Paul)
pour l'évaluation d'un prototype appliquant à la radiologie
la chambre proportionnelle multifils de Georges Charpak.
I.
Rappels techniques
La chambre proportionnelle
multifils développée par Georges Charpak (prix Nobel 1992)
est un détecteur de particules élémentaires utilisé
en physique fondamentale. Au début des années 1980 une application
radiologique de ce détecteur a été conçue dans
l'équipe de Georges Charpak au CERN (Centre Européen pour
la Recherche Nucléaire). Les travaux poursuivis au Budker Institut
of Nuclear Physics de Novosibirsk (Russie) ont abouti au développement
de plusieurs prototypes, utilisés en clinique pour les pelvimétries
et les hystérosalpyngographies (chambre de 256 fils, Moscou, 1983),
puis pour les rachis et poumons (chambre de 320 fils, Novosibirsk, 1987).
Le dernier prototype (chambre de 320 fils améliorée à
640 " canaux " de détection, 1988), comprend un générateur
de rayons X solidaire d'un système de collimation du faisceau de
rayons (=deux fentes de 0,6 mm d'épaisseur placées devant
et derrière le patient) et du détecteur (placé derrière
le patient). Pendant l'acquisition l'ensemble se déplace le long
du patient. Chaque ligne d'une image est exposée pendant 30 millisecondes,
l'information numérique est transmise à un ordinateur, puis
l'exposition de la ligne suivante démarre. A la fin de l'acquisition,
l'image numérique est visualisée sur écran puis archivée.
Les avantages
attendus de cette détection directe des photons X sont d'une part
une diminution importante de l'irradiation du patient et une bonne dynamique
de l'image, et d'autre part une nouvelle voie possible de numérisation
de la radiologie conventionnelle (réseaux). Les points faibles sont
la vitesse d'acquisition des images (entre 6 et 12 secondes par image selon
sa taille, imposant l'immobilité du patient et pouvant poser problème
pour l'étude de certains organes ou chez les jeunes enfants), une
faible résolution spatiale (plus faible que celle des systèmes
utilisés en radiologie conventionnelle, même numérique)
et la position uniquement verticale du prototype.
II.
Historique du dossier
Le dossier a
été présenté une première fois au CEDIT
en novembre 1993. Le Comité avait alors estimé prématurée
une évaluation clinique de l'appareil, et avait souhaité
d'une part que les radiologues intéressés par cette technologie
vérifient la qualité des images obtenues par le prototype
(à l'époque situé en Russie), et que d'autre part
soit établi un protocole d'étude précis. Ces deux
points réalisés, et la dernière version du prototype
ayant été achetée par la société Biospace
Radiology et installée à l'hôpital Saint-Vincent-de-Paul
en avril 1994, le dossier a été représenté
au CEDIT en mai 1994.
Le protocole
d'étude clinique retenu avait 3 objectifs : étude de la dosimétrie,
de la qualité d'image et de l'apport informationnel des images fournies
par le prototype par rapport à la radiologie conventionnelle, dans
2 pathologies nécessitant des clichés radiologiques itératifs
(suivi chez l'enfant de pathologies du rachis et du bassin). La troisième
indication retenue était le cliché thoracique chez l'adulte,
afin d'étudier en sus la qualité diagnostique des images
obtenues par les 2 modalités par rapport à un gold standard
(le scanner thoracique).
L'étude
a été financée par le CEDIT et par le Ministère
des Affaires Sociales, de la Santé et de la Ville (PHRC 1994). Elle
a été mise en place, suivie et analysée par la société
Eval. Le Secrétariat du CEDIT a réalisé un contrôle
de qualité des données recueillies, avec relecture des questionnaires
par les investigateurs et réanalyse des résultats lorsque
des données manquantes et des incohérences logiques ont été
relevées. Le contrôle de qualité des équipements
radiologiques avant et pendant l'étude, ainsi que l'étude
de dosimétrie ont été réalisés par le
CAATS(1).
III.
Résultats de l'évaluation
L'étude
s'est déroulée sur l'année 1995 dans le cadre de la
loi Huriet-Sérusclat. L'analyse a porté sur le nombre prévu
de bassins (47 sur 50) et de rachis d'enfants (93 sur 100), tous interprétés
par les professeurs Adamsbaum et Kalifa (service de radiopédiatrie
de St Vincent de Paul), et revus par les professeurs Dubousset et Seringe
(service de chirurgie orthopédique pédiatrique de St Vincent
de Paul). L'inclusion des adultes pour les clichés thoraciques a
été stoppée à la moitié (51 sur 100),
les dossiers ont tous été interprétés par les
professeurs Frija (service de radiologie de Laennec) et Legmann (service
de radiologie de Cochin).
Les résultats
principaux de l'étude sont les suivants :
* pour la pédiatrie
: les doses délivrées par le prototype sont toujours
très inférieures à celles délivrées
en conventionnel (rapport de dose d'environ 1/19 pour le bassin, 1/13 pour
le rachis). Qualité d'images : celle obtenue avec le prototype
est significativement inférieure à celle des images conventionnelles
pour plusieurs des critères de qualité d'image du bassin,
et sans différence significative pour le rachis. Apport diagnostique
: les deux modalités sont également " contributives°",
et le prototype permet dans tous les cas de " répondre à
la question posée " (2 doutes et une réponse négative
en conventionnel) ; pour le rachis, les clichés conventionnels sont
jugés un peu plus souvent contributifs et permettent un peu plus
souvent de répondre à la question posée, mais de façon
non significative.
* pour le thorax
de l'adulte : les doses délivrées par le prototype
sont là aussi inférieures à celles délivrées
en conventionnel (rapport de dose d'environ 1/5 pour le thorax de face,
1/7 pour le profil ; la dose maximale constatée pour le prototype
est supérieure à la dose minimale constatée en conventionnel,
mais elle reste d'un rapport 1/10 (1/20 de profil) à la dose maximale
en conventionnel). Qualité des images : celle obtenue avec
le prototype est significativement inférieure à celle des
images conventionnelles pour plusieurs des critères étudiés.
Apport diagnostique : la moitié des examens conventionnels
et numériques sont contributifs (alors que tous les examens par
scanner le sont). La sensibilité du prototype paraît
meilleure que celle du conventionnel pour les anomalies pleurales, inférieure
pour les anomalies médiastinales et parenchymateuses ; sa spécificité
paraît globalement meilleure.
Pour les investigateurs
de l'étude, le prototype apparaît très satisfaisant,
chez l'enfant, pour la surveillance angulaire des scolioses et l'étude
architecturale des hanches. Il apparaît par contre insuffisant pour
l'analyse fine de la trame osseuse. Les cliniciens envisagent son intérêt
futur pour l'étude des membres inférieurs (suivi des déformations
angulaires ou de longueur), les radiologues envisagent son utilisation
pour la mesure de l'âge osseux (avec éventuelle analyse automatique
de l'image numérique), les clichés sous plâtre et post-opératoires,
enfin les contenus utérins lorsque la table sera inclinable. Chez
l'adulte les radiologues sont beaucoup plus réservés sur
l'intérêt du prototype dans son état actuel. Une voie
paraît intéressante si les améliorations techniques
du prototype l'autorise : la réalisation des clichés au lit.
En résumé
il s'agit d'un prototype, qui avant diffusion doit être industrialisé.
Les questions qui restent à ce jour sont les améliorations
techniques possibles du prototype, les industriels intéressés
à son industrialisation, le positionnement de l'appareil dans la
gamme des technologies d'imagerie et l'estimation de la population de patients
concernée, le prix de revient de l'appareil et son prix de vente.
Recommandations
du cedit
L'étude
réalisée a confirmé la diminution importante des doses
d'irradiation permise par le prototype. Les images obtenues permettent
la surveillance des rachis et bassins d'enfants, mais ne sont pas satisfaisantes
pour le thorax de l'adulte. Les limites actuelles du prototype sont sa
position uniquement verticale et la lenteur d'acquisition des images ;
s'il est industrialisé de nouvelles études seront nécessaires
pour préciser si son éventuelle diffusion est médicalement
et économiquement intéressante.
(1)
CAATS : Centre d'Assurance Qualité des Applications Technologiques
dans le domaine de la Santé
|